Le Shae'ngi de la Terre [PV Etraldär]

Cela faisait longtemps que le vieil homme avait cessé de fouler la poussière des routes. Seul, assis sur un imposant rocher au bord du chemin, il patientait depuis plusieurs jours. Nul ne savait ce qu’il attendait et personne n’aurait osé le questionner. L’apparence qu’il donnait inspirait plus la peur que la curiosité. Effectivement, avec son bâton à la main et sa longue cape sombre dont la capuche dissimulait son visage, il rappelait certaines représentations populaires de la Mort. Alors les gens passaient leur chemin sans demander leur reste, espérant au fin fond d’eux-mêmes qu’il ne s’en prendrait pas à eux…

Mais voilà qu’un Elfe accompagné d’un loup approchait. L’homme sur son roc ne bougeait pas d’un pouce, tellement immobile qu’on aurait pu le croire lui-même confondu à son promontoire. Il se dégageait simplement de lui une puissance qui prouvait qu’il était bel et bien vivant. Ou tout du moins… pas figé. Et lorsque l’Elfe allait se trouver à sa hauteur, l’homme sauta de son rocher pour atterrir sur la route, de manière assez raide, ce qui révélait son âge avancé.

"Je t’attendais, jeune Elfe."

Sa voix profonde était emprunte de sagesse et, si ses paroles auraient pu prêter à rire pour ce jeune Elfe qui avait tout de même vu s’écouler plus de deux siècles, on comprenait finalement que ce vieil homme l’était bien plus qu’on pouvait l’imaginer. Son visage était quant à lui toujours invisible mais ses yeux brillaient.

Si cette intervention risquait de susciter la méfiance chez l’Elfe, son compagnon canin était à même de le rassurer. Cet homme lui inspirait la confiance. Était-ce son attitude ? son odeur ? de la magie, un charme animal ? En tout cas, le loup n’éprouvait aucune crainte. Le vieil homme reprit, d’une voix amicale mais qui semblait aussi un peu fatiguée :

"Je t’ai senti venir de loin et je t’attendais. Je souhaiterais vérifier quelque chose. Me le permets-tu ?"

Des jours de marches, et enfin, il avait réussi à retrouver la route qui menait jusqu’à Binla. Etraldär en était satisfait, et cette satisfaction lui redonnait courage pour parcourir les quelques kilomètres qui lui restait à faire. S’appuyant sur son bâton, son loup reniflant les choses qu’il débusquait sur le bord de la route pavée, les deux êtres arrivèrent à un rocher proche de la route. Il était assez gros, mais ni l’Elfe ni le loup n’avait remarqué quoique ce soit d’inhabituel sur lui, jusqu’à ce qu’un homme encapuchonné descendit brusquement du rocher. Cette intervention fit sursauter Etraldär, qui brandit son bâton vers l’homme, par méfiance. De l’homme se dégageait une magie très impressionnante, et surtout très dense. L’homme se retourna vers l’Elfe, son capuchon toujours rabattu sur son visage, dont on ne pouvait distinguer rien mis à part deux points brillants, qui pouvait bien correspondre à ses yeux. Les seuls mots de l’homme à ce moment là furent :

"Je t’attendais, jeune Elfe."

Cette phrase lui fit arquer un sourcil, le troublant quelques peu. Il reprit son bâton normalement, le plantant lentement à côté de lui, voyant que la voix de l’homme était pleine de sagesse, et que s’il était intervenu devant lui comme ceci, c’est qu’il y avait quelque chose dont il voulait parler, et certainement quelque chose de très important, à la fois pour lui et pour Etraldär.


La réaction de Fenrir, le loup de l’Elfe, était, quant à elle, totalement l’inverse de celle de son maître. Il semblait confiant, remuant la queue. Il avait aboyé, sans agressivité aucune. Le loup ne cherchait pas vraiment à se défendre, et cette intervention ne suscitait chez lui pas plus de méfiance ni de rejet envers l’homme. Ce dernier, après avoir attendu un peu, reprit la parole :

"Je t’ai senti venir de loin et je t’attendais. Je souhaiterais vérifier quelque chose. Me le permets-tu ?"

Les soupçons de l’Elfe se confirmaient. Cet homme cherchait quelque chose en lui. Malgré son état suspicieux, il lui répondit par la positive, balbutiant quelque peu :

Oui, mais … Qu’allez vous faire ?

Essayant de copier l’état de son loup, Etraldär se détendit, attendant la réponse de l’homme.

L’Elfe arriva à se détendre, espérant ne pas être tombé dans un piège.
Mais la phrase de l’inconnu le troubla un peu :





"Je te l’ai
dit, faire une vérification. Mais chaque chose en son temps : tu semble un peu
perdu, alors je vais te guider… "





Le guider dans quoi ? Il resta là, à se demander ce
qu’il pouvait bien vouloir faire. L’homme resta pensif un moment, puis reprit
son discours :





"Si je ne
m’abuse, tu es lié à la Terre, tout comme moi. Cependant, il y a quelque chose
qui te distingue des mages "normaux " dans ce lien même. Tu ne l’as
pas depuis l’origine, il vient de ce que tu porte désormais sur ton corps, je
me trompe ?"





Prit de court, il posa sa main instinctivement sur son épaule droite,
là où la « marque » se trouvait. Il ne savait comment réagir. Comment
cet homme pouvait-il voir sa marque, qu’il cachait ? Il était magicien,
surement, mais alors quelqu’un de très puissant. Quelqu’un capable de ressentir
les énergies, et de les distinguer en profondeur, de les décortiquer. Il se
contenta de hocher la tête en guise de réponse. L’homme continua :





"J’aimerais
voir cela."





La chose qu’il redoutait arrivait. Devait-il lui montrer ? Son
ancien maître lui avait dis que personne ne devait-y toucher, personne … Sauf s’il
devait survivre. Sa survie était-elle remise en cause ici ? Fenrir ne se
sentait pas pour le moins agressé, mais quelque chose faisait sentir à Etraldär
qu’il devait se conformer aux volontés de l’homme. Il leva sa manche, un peu
hésitant. La marque noire commença au niveau de son bras. Elle l’entourait en
volutes, « s’accrochant » entre elle. Elle brillait légèrement, d’une
lumière à la fois ternie et dorée. Etraldär l’admira un moment, puis reporta
son attention sur l’inconnu :





Qu’est ce que vous voulez voir là-dedans ?

[Désolé, je n'arrive pas à rélger la mise en page, donc ce n'est pas comme d'habitude.]

L’Elfe parut douter un instant mais céda finalement à sa requête. Il découvrit son bras avec quelques hésitations, dévoilant une marque sombre à la lueur étrange. Le regard du vieil homme resta fixé sur cette empreinte magique et ce, même lorsque l’Elfe lui posa sa question. Il garda le silence un moment, comme absorbé dans son observation, comme s’il trouvait là la réponse à un grand mystère. Il secoua alors la tête, sortant d’un étrange sommeil.

"Le mage que j’attendais."

L’inconnu hocha la tête et, après avoir planté son bâton dans le sol, de ses deux mains il retira sa capuche. Il révéla ainsi son vieux visage ridé avec sa longue barbe et ses yeux vifs qui scrutaient l’Elfe derrière de petites lunettes rondes. Ses traits portaient encore la trace de la maladie et montraient un certain affaiblissement, malgré la puissante aura que l’homme dégageait.

"Cela fait des décennies, voire des siècles, que j’espérais la venue de quelqu’un comme toi. Tu es un héritier de la Terre et, si tu te sens capable de grandes responsabilités, tu seras mon Shae’ngi.

Oh, excuse-moi, je ne me suis toujours pas présenté. On me nomme Kénolstraz et si j’ai une apparence humaine, je n’en suis pas moins un Grand Dragon."

Comme pour souligner ses propos, ses yeux prirent, l’espace d’un instant, une apparence reptilienne. Il reprit d’une voix plus lasse :

"Tout cela doit te sembler bien soudain, mais il ne me reste plus beaucoup de temps. As-tu déjà entendu parler des Maîtres des Eléments ? Je suis l’un d’eux et, comme tu peux t’en douter, celui de la Terre. Si tu accepte ma charge, celle de prendre ma suite, sache que cela te transformera à tout jamais. Tu deviendras toi-même un Grand Dragon et, si tu pourras conserver ton apparence elfique, au plus profond de toi, tu seras à jamais dragon."

Le vieil homme lui adressa un regard amical, mais légèrement chagriné. Il éprouvait des remords de faire reposer tous ses espoirs sur les épaules de cet Elfe, mais aussi des regrets de ne pouvoir l’accompagner.

"Réfléchis bien, jeune Elfe, car cette décision marquera le reste de ta vie."


[Note : le Shae’ngi signifie l’élu en langue ancienne.
Ce mot vient de Kénolstraz, il ne me semble pas qu’il soit utilisé ailleurs.]