Vision nocturne... :-'

Wamillou arriva harassée par cette longue journée à la maisonnette qui lui avait été louée par la mairie. Celle-ci se situait dans le quartier de la Roche Noire.

Dans la pénombre grandissante d'une soirée oppressante, elle frissonna. Puis elle ouvrit la porte grâce à une petite clef rouillée.

Dans la maison, il faisait encore plus sombre qu'à l'extérieur. Elle lâcha avec un soupir de soulagement les bricoles qu'elle avait ramenées des ruines de son ancienne habitation, au dessus de son ancien salon de thé. Dans son grand sac elle avait entassé les vêtements qui lui restaient, sa tenue de chasse, son petit arc et quelques flèches ainsi que deux coussins : un rouge et un vert. Elle portait en bandoulière son violon.

Elle entreprit aussitôt de faire le tour de la maison. Noir, marron, gris, noir, marron, gris... Les couleurs de chaque pièces étaient d'une déprimante morosité.

On l'avait prévenue qu'elle disposait de quelques victuailles lui permettant de ne pas avoir à jeuner le soir-même. Elle s'installa donc devant un repas qui, même s'il était plutôt frugal, avait l'avantage de lui permettre de s'assoir un peu.

Ensuite, elle monta dans sa chambre.

"Oh mon dieu!! Que c'est petit!" S'exclama-t-elle, sursautant presque d'entendre l'éclat de sa voix dans le silence pesant.

*Bon, je veux faire de cette petite pièce mon petit nid!*

Elle déposa sur le lit les deux coussins colorés, souriant du contraste qu'établissait leurs nuances vives avec le rouge sombre de la couverture. Puis, elle alla ranger ses vêtements dans la salle de bain et enfin, entreposa le violon et l'arc sous le lit avant de revêtir une petite robe légère en coton blanc.

Elle allait se coucher mais se ré avisa et sortit son violon de son étui, avant de faire vibrer quelques gammes.

Soudain, elle se sentit submergée par une sensation d'impuissance, elle avait l'impression d'être perdue. Tout était allé beaucoup trop vite! Demain déjà, elle devrait endosser les fonctions d'aubergiste, trouver un employé... Elle se sentait seule et toute petite. Elle n'avait pas vraiment d'amis. Son violon était là mais... Que demander à un bout de bois inerte? Il lui fallait quelqu'un pour la serrer dans ses bras, n'importe qui. Une présence.

*Allez hop ma Wam! On se ressaisit, on range le violon, on ferme les rideaux et on va se coucher.*

Elle obtempéra immédiatement à ces ordres intérieurs, mais, lorsqu'elle s'apprêta à fermer les rideaux, elle fut stoppée net dans son geste.

De l'autre côté de sa maison, il y en avait une autre. Elle avait vue sur une chambre. Dans cette chambre, il y avait un bureau. A ce bureau était assis quelqu'un.

Ce quelqu'un semblait être un drow.

Ce quelqu'un était Yorwan.

Immédiatement, brusquement, comme par un heureux réflexe, elle s'assit à terre, pour ne pas risquer qu'il la voie.

*Mais quelle idiote! Pourquoi as-tu mis une chemise blanche hein! Le noir c'est parfait et tout à fait dans le ton de la maison.../ De toute façon t'en as pas de noires! / Oui bon..*

Complètement secouée par sa découverte, elle tenta de faire le point :

*Bon, Yorwan est mon voisin, et alors? On s'est pas vraiment quittés dans de bon termes ok mais.. C'est l'occasion rêvée pour un nouveau départ. Et puis il est plutôt mignon.. Surtout torse nu d'ailleurs...*

Elle ferma d'un coup sec le rideau, non sans avoir regardé une dernière fois pour être sûre. Rougissant bêtement comme toujours. Puis elle se blottit sous sa couverture et rejoint son petit nuage. Là-haut, tout était doux et coloré, tout le monde était gentil et beau... Le lendemain risquait d'être dur.

La nuit venait juste de tomber sur Binla et déjà les gens se pressaient pour rentrer chez eux. Après une journée partagée entre le conseil et quelques personnes à voir, Yorwan avait enfin put rentrer chez lui. Presque immédiatement il avait pris un bain, cela l’aidait à avoir les idées plus claires. Puis rapidement le drow avait enfilé un pantalon et c’était attelé à un rapport qu’il devait faire parvenir le plus tôt possible au roi Korrigan. Cela faisait un petit moment que le conseiller alignait les mots avec rapidité lorsqu’un mouvement à la fenêtre attira son regard. Il fit mine de n’avoir rien remarqué, et du coin de l’œil, il vit très nettement qu’on tirait les rideaux dans la maison d’en face.

Il y avait donc bien quelqu’un dans la maison adjacente, et ce quelqu’un l’observait. Tranquillement Yorwan souffla la bougie et s’éloigna de la fenêtre. Puis, cette fois-ci beaucoup plus rapidement, il attrapa sa dague qu’il glissa à sa ceinture, enfila ses chaussures et descendit les escaliers en courant. L’elfe noir ne pouvait savoir qui l’espionnait ainsi et refusait d’en être réduit à des suppositions. C’est pourquoi il fallait absolument qu’il attrape le curieux avant que celui-ci n’ait le temps de prendre la fuite. Sans rien sur le dos, Yorwan se retrouva dans la rue. Il n’y avait apparemment personne mais il prit quand même la peine de cacher soigneusement sa présence. Sa peau sombre le dissimulait finalement mieux que n’importe quel vêtement.

Avec habileté, il se glissa le long du mur jusqu’à la porte voisine et à l’aide de ses instruments favoris il commença à taquiner la serrure. Cette fois en particulier il devait agir rapidement pour surprendre son adversaire aussi, après quelques minutes, un petit cliquetis se fit entendre et la porte s’ouvrit. Rapidement, l’elfe entra dans la demeure et repoussa la porte derrière lui. Il faisait sombre mais ce n’était pas vraiment un problème pour lui, et cette maison semblait agencée un peu comme la sienne. Sans l’ombre d’une hésitation il se faufila dans l’escalier et tomba sur deux portes. Il attrapa sa dague et tourna délicatement la poignée de la première porte.

Raté, ce n’était que la salle de bain, et pas de fenêtre qui corresponde avec celle de sa chambre. Il fit demi-tour et répéta l’opération avec l’autre porte. Cette fois-ci il trouva bien la fenêtre ne question rideaux tirés. Mais plus important, dans cette pièce minuscule, il tomba sur un lit et dans ce lit dormait le mystérieux espion qui n’était autre que Wamillou…

Soudain l’altercation qu’ils avaient eut six ans plus tôt lui revint en mémoire. Il n’avait pas eut vraiment l’occasion de la revoir depuis cette époque mais il ne l’avait pas oubliée pour autant. Et voilà qu’aujourd’hui elle s’amusait à l’observer depuis sa fenêtre. Outre sa beauté, cette petite était dotée d’un certain culot.

L’elfe noir s’appuya contre la petite table et regarda Wamillou dormir un instant. La situation n’était pas si différente de leur première rencontre et l’elfe supposa que la réaction de la jeune femme ne serait pas tellement différente non plus si elle se réveillait maintenant.

Wamillou était au chaud dans son petit lit en train de faire un rêve particulièrement agréable. Elle se trouvait dans une forêt et jouait avec un petit écureuil tout doux, tout en mangeant du chocolat. Les arbres veillaient sur eux en souriant. La lune dansait avec les étoiles dans le ciel. Tout était éclairé par une chaude lumière dorée.
Mais soudain, retentit un bruit infime, un bruit de pas... Et l'animal s'enfuit. Les couleurs s'estompèrent et tout vira au noir. Noir du desespoir, noir de la colère et de la peur, noir obscur et pénetrant.

Perturbée dans son sommeil par cette visite impromptue au pays de ses rêves, elle poussa un minuscule gémissement et se frotta les yeux.

Un autre son se fit entendre, une respiration, inaudible sauf pour son ouïe d'elfe, tout prêt de son lit. Était-ce dans son rêve? L'écureuil qui revient jouer peut-être. Souriant, elle s'apprêta à retourner caracoler parmis les arbres mais....

Une nouvelle fois: inspire expire, comme un soupir, le bruit semblait trop réel et de plus, elle était certaine à présent d'être réveillée.

Ouvrant les yeux à moitié, encore ensevelie dans la douce quiétude de l'éveil, encore pénétrée dans l'atmosphère apaisante de son rêve et de son repos enfin gagné, elle se mit à faire le point en silence.

*Bon, le bruit se trouve de l'autre côté de mon lit. Il faudrait que je me retourne. Soit c'est mon imagination qui me joue des tours, soit il y a quelqu'un. Si c'est une personne, et qu'elle est dans ma chambre, c'est qu'elle ne doit pas me vouloir que du bien...*

Un serrement dans le ventre, une boule dans la gorge, les mains soudains moites, elle n'arrivait pas à se décider entre rester allongée et faire semblant de dormir et se retourner. Face à ce choix cornélien, elle ne savait que faire...

*Booon... S'il y a quelqu'un et qu'il veut vraiment me tuer, je serais déjà morte... Ses intentions ne doivent pas être si mauvaises... Allez courage ma Wam. De toute façon tu dois en avoir le coeur net sinon tu ne pourras jamais te rendormir!*

Elle ouvrit complètement les yeux et, se retourna aussi vite que ses membres engourdis le lui permettaient, c'est à dire avec la vitesse moyenne d'une tortue essoufflée.

Et là, dans la pénombre de sa chambre, à peine éclairée par un rayon de lune filtrant à travers les rideaux, se trouvait Yorwan. Toujours torse nu, plus mignon encore qu'à travers sa fenêtre et dans ses souvenirs et appuyé contre sa petite table. Il semblant la regarder avec un certain intérêt.
Surprise, ébahie, complètement désarmée devant cette surprise inattendue, Wamillou se trouva désemparée, incapable d'aligner une phrase.

"Mais euuh.. Je.. Euh, C'est vous Yorwan? Enfin.. Que faites-vous ici? Enfin je veux dire dans ma chambre quoi... Euuh?"

Son petit visage tout fatigué le regardait avec incrédulité. Ses yeux clignotants n'arrivaient pas à le croire...

*MAIS QUE FAIT-IL ICI???? / A ton avis, sombre idiote, que peut donc bien vouloir faire un homme dans cette tenue dans ta chambre au milieu de la nuit.../ TAIS TOI!!!!!!*

Complètement affolée, elle se redressa un peu plus, faisant glisser la couverture avant de se souvenir de sa tenue... Elle piqua un fard avant de la remonter puis le dévisagea avec insistance.

Un peu perdu dans ses pensées, Yorwan ne remarqua pas tout de suite que Wamillou s’était réveillée. Mais un changement dans le rythme des respirations de l’elfe lui fit comprendre qu’elle ne dormait plus. Il glissa sa dague à sa ceinture mais dans son dos, sa présence devait être assez effrayante comme ça. Puis il attendit qu’elle ose se retourner, à supposer qu’elle ait remarqué sa présence, mais il en était déjà convaincu.

Lorsque cela arriva finalement, il n’eut pas droit au hurlement auquel il s’était attendu. Une petite phrase mal assurée, voilà tout ce que cette présence incongrue évoquait à la petite dormeuse qu’il venait réveiller dans sa maison, dans sa chambre et presque dans son lit.

*Aurais-tu perdu ton caractère quelque part durant ces six années…*

Il lui adressa un léger sourire, un sourire rassurant, enfin peut être qu’il aurait put l’être en d’autres circonstances. Puis avec autant d’aplomb que s’il eut été chez lui, l’elfe noir répondit :

- Bonsoir, pardonnez-moi de vous avoir réveillé mais j’ai pour habitude de venir souhaiter personnellement la bienvenue à mes voisins.

Lui seul pouvait comprendre le vrai sens de ces paroles, ou peut être son autre voisin qui avait vu disparaître sa bourse le lendemain de son installation.

- Plus sérieusement, j’ai vu qu’on m’observait à la fenêtre et j’ai cru que c’était… Autre chose.

L’elfe noir inclina légèrement la tête et tourna le dos à Wamillou. Ce n’est qu’à auteur de la porte qu’il ajouta :

- Excusez moi pour le dérangement, Bonne nuit et à la prochaine, je suppose que nous sommes condamnés à nous rencontrer dans des situations étranges…

Wamillou reprenait peu à peu ses esprits, s'extirpant à grand peine de la mélasse de son ensommeillement.

Yorwan lui fit un sourire rassurant... C'est étrange, elle ne l'avait jamais vu "gentil". Et là, avec son air aimable et aussi peu vêtu, dans l'intimité de sa chambre, sa présence la troublait beaucoup plus qu'elle n'aurait du.

Sans s'en rendre vraiment compte, elle sourit à son tour, planant toujours sur son nuage, les yeux à moitié dans le vague. Elle avait du mal à les garder ouvert.

Puis il se mit à lui expliquer les raisons de sa venue, d'abord en plaisantant et ensuite en lui racontant qu'il ne s'agissait que d'une méprise de sa part. Sa petite phrase d'au revoir fit de nouveau sourire la jeune elfe, plus tendrement cette fois ci...

*Non mais pour qui il se prend! Tu ne vas quand même pas le laisser s'en tirer aussi facilement! T'es peut-être complètement larvifiée mais au moins rappelle lui que t'es chez toi!!*

Elle prit une inspiration, se demandant ce qu'elle pourrait bien lui dire pour exprimer son mécontentement avant d'articuler à grand peine d'une voix faiblarde qui ne parvenait pas à se durcir :

"Attendez un peu Yorwan... Même si c'est une erreur de votre part enfin euuuh... Vous n'aviez de toute façon pas à vous introduire par effraction chez moi! Et si vous pensiez qu'il s'agissait d'autre chose, pourquoi être resté là en vous apercevant que ce n'était que moi? Vous auriez passé la nuit à me regarder dormir en écoutant ma respiration? Êtes vous réellement venu dans une autre fin que celle de m'emmerder une fois encore, de prendre une stupide revanche sur la dernière fois dans la prairie?"

La colère aidant, Wamillou se sentait à présent réveillée et, la fin de sa tirade avait été prononcée sur un ton assez assuré. C'est d'un ton qui redevenait colérique qu'elle poursuivit :

"Cela fait deux fois que vous forcez ma porte pour vous introduire chez moi!! Je ne vois vraiment pas d'autres solutions que d'en référer à la garde. Vous m'avez réveillée alors que je récupérai paisiblement d'une dure journée. Et cette fois vous n'étiez même pas en train de fuir!!"

Soudain, une grande lassitude l'envahit à nouveau, et son visage reprit les traits d'une petite fille exténuée.

"Pfff.. De toute façon je n'ai vraiment pas le courage de m'énerver dans mon
état... Avouez que c'était calculé! En tous les cas, j'estime avoir gagné le droit de m'introduire par deux fois chez vous si je le souhaite alors... Faites attention! Et ne vous avisez pas de recroiser mon chemin lorsque je serai plus éveillée, mon humeur pourrait être fort différente..."

Une note d'amusement n'avait pu s'empêcher de venir attendrir sa voix, de même qu'un petit sourire malicieux.

Elle allait pour se rallonger et le laisser sortir, lorsque la pensée qu'elle devrait refermer derrière lui la traversa. Ainsi, elle pourrait réellement s'assurer qu'il était bien parti. Elle se leva et se trouva debout avant même de percuter qu'elle n'était qu'à peine vêtue... Rougissant tout de même, gênée, elle s'avança vers lui.

"Bon, je vais fermer la porte après votre départ. J'imagine que vous n'avez pas besoin que je vous montre par où est la sortie.. Allez déguerpissez!!"

Et elle saisit la petite clef rouillée, s'apprêtant à le suivre.

Décidément Alors qu’il lui tournait déjà le dos, la petite elfe se réveilla enfin. Ces paroles et son agacement n’avaient rien de surprenants bien qu’elle se trompa sur les intentions du drow. Il n’avait pas put savoir à l’avance qui il allait rencontrer et il ne voyait pas non plus pourquoi il serait venu la regarder dormir en guise de revanche. Ces vengeances étant bien souvent plus cruelles et sadiques que ça. Il tourna légèrement la tête pour planter son regard dans le sien et, sans l’ombre d’une émotion sur le visage, il ajouta :

-Dormez, vous semblez en avoir grand besoin.

Puis il quitta la petite chambre avec vivacité, descendit l’escalier et quitta la demeure, un peu troublé. Il n’avait pas pour habitude de partir sans rien emporter. Mais d’un autre côté, elle l’avait vu et reconnu, il était donc inutile de prendre le risque d’être accusé de vol. Il rentra chez lui discrètement et une fois de retour dans sa chambre il tira les rideaux.

Avoir pour voisine Wamillou ne devait pas être un problème mais Yorwan avait l’impression très nette qu’il n’avait pas fini d’en entendre parler. L’elfe noir songeait à tout cela en enfilant les vêtements qu’il avait négligé un peu plus tôt. Puis il ouvrit une trappe qui se trouvait dans le plafond de sa chambre et qui permettait d’accéder facilement aux toits. La nuit était encore bien longue…

Wamillou fut assez surprise par la réaction de Yorwan... Une réponse laconique, un conseil évident, stupide étant donné les circonstances. Il n'avait même pas pris la peine de nier des affirmations qui n'en apparaissaient alors que plus vraies. De plus, la politesse aurait au moins exigée qu'il lui dise au revoir enfin... Il ne faut pas trop en demander à un drow.

*Bon, allons fermer la porte derrière ce crétin.*

Elle obtempéra sur le champ, faisant tourner la clef dans la serrure avec un doux grincement.

*Il faudra que je l'huile..*

Puis elle regagna son petit lit, non sans avoir regardé au préalable par la fenêtre mais il avait fermé ses volets. Souriant à l'idée qu'elle en était très surement la cause, elle tenta de trouver le sommeil... Mais peine perdue.

La cloche de l'Eglise de Binla sonnait... une heure, deux heures, trois heures... Pas moyen de s'endormir..

A l'heure de son réveil, elle se prépara pour gagner son auberge, non sans grommeler des menaces à l'usage de Yorwan... Elle avait eu toute la nuit pour réfléchir en paix à une délicieuse vengeance.